dimanche 1 avril 2012

mort hygiénique, versus mort impropre: laquelle est laquelle?

Le vendredi 30 mars 2012, vers 5 h du matin, nos deux premiers porcs charcutiers sont morts à l'abattoir d'Aurillac.

Je voudrais parler de cette épreuve pour nous deux, qui les avons élevés, bien entendu avec comme objectif d'être consommés plus tard sous forme diverses de produits charcutiers. Nous nous réjouissons donc d'avoir réussi dans notre entreprise. Ils étaient beaux, ils pesaient plus de 150 kilos et donc, se démarquent du cochon standard que l'on trouve sur les étalages des magasins, en barquette ou chez le boucher. Ces derniers ne dépassent pas 120 kilos et c'est de la viande jeune, qui n'a pas maturé, qui n'est pas persillée. Mais nous nous sommes tellement habitué au standard, que finalement, nous avons oublié ce que c'est que de la viande persillée. Elle est bien meilleure mais nous ne savons plus pourquoi.

Je m'égare. Le propos du jour, c'est l'abattoir. Pas la qualité de la viande. Pourtant il y a un autre sujet sur la qualité de la viande qui joue un rôle cru-cial. Et là, je pèse fort mes mots: il s'agit du stress des cochons. Le cochon est, ma foi, très sensible. Il est même plutôt pétochard. Imaginez-vous que, si vous arrivez trop discrètement derrière eux, ils vont avoir une sacrée montée d'adrénaline. Et puis, il leur faut une petite minute pour se remettre de leur émotion! C'est pour ça que lorsque Nicolas ou moi, nous nous approchons d'eux, nous parlons, nous chantons, nous sifflons, n'importe quoi pour qu'ils sachent qu'on arrive. Alors du coup, ils se retournent vers nous et viennent nous renifler ou bouffer nos lacets de chaussure... comportement peu original pour un cochon. Le cochon a cela de commun avec nous autres humains, c'est de ne pas trop aimer les changements: source de stress important. Là, c'est pas une minute qu'il faut, mais des heures.

Le départ pour l'abattoir veut dire qu'il faut séparer l'animal de ses copains, gros stress. Il faut l'isoler dans un parc, gros stress. Il faut le faire monter de gré ou de force dans une bétaillère, gros stress, il faut le transporter une heure (et encore on a de la chance) sur la route, gros stress, il faut le sortir de la bétaillère dans un monde inconnu de béton et de métal, gros stress, et le fermer par des hommes inconnus dans un boxe avec d'autres cochons qui hurlent à côté, gros stress. Et là, l'éleveuse que je suis, elle a pleuré, pleuré, pleuré, pleuré.

J'ai suivi mes cochons jusque là. J'ai caressé mes cochons en leur parlant pour les calmer. Mais eux aussi ils pleuraient. Oui, le cochon pleure. J'ai découvert cela.

Après, nous avons dû les laisser entre les mains des employés des abattoirs.
Ces hommes, je les ai vus à l'oeuvre. Ce sont des machines. Ils travaillent dans la bonne humeur. Oui, l'ambiance est bonne. Mais leur quotidien? Un travail astreignant, et tellement peu reconnu...

Le porc est anesthésié par électronarcose. Après de longues heures d'attente car les cochons plein air sont tués après les centaines de porcs industriels, nos cochons sont amenés, de force car il n'y a pas de gré qui tienne, dans une sorte de boîte qui lui interdit tout contact avec le sol grâce à des rouleaux en V. Des tenailles électrifiées sont placées de chaque côté de la tête du cochon. Et si les choses se passent bien, il perd connaissance. Suivent la saignée, environ 4 litres de sang par cochon, l'échaudage soit un bain à 62 degrés pour faciliter l'épilation, qui consiste à virer les poils du porc. Puis il est éviscéré et coupé en deux demi-carcasses.

Un homme de l'inspection sanitaire passe ensuite pour faire les vérifications d'éventuels problèmes sanitaires, et saisir la viande "impropre".

Alors, j'ai réfléchi. J'ai beaucoup pensé à tout cela. La mise à mort. L'acte de tuer. Manger de la viande veut dire ça. J'ai pensé oh combien j'étais hypocrite, quand j'étais un humain "hors-sol" c'est à dire urbaine déconnectée du vivant, déconnectée de la terre nourricière, vivante, déconnectée du rapport à l'animal. Dans ma vie d'avant, lorsque je disais que je voudrais me recycler et faire un élevage de porc, j'ai senti un accueil très positif pour ce projet. Mes interlocuteurs, amis, famille, collègues, tous m'ont encouragée. Certains nous ont trouvés un peu, voire totalement marteau aussi! mais par contre, j'ai eu l'occasion d'observer, dans ces interactions, une sorte de soulagement, oui, du soulagement, lorsque je disais que les cochons seraient tués à l'abattoir. Oui. Et moi aussi ça me soulageait. Je ne les tuerai pas. Ouf. Il y avait la "boîte noire". Celle qu'on ne veut pas voir. Celle qu'on ignore.

Et bien, aujourd'hui, je suis très triste. Car aujourd'hui, je peux vous dire que je préfèrerais mille fois, dix mille fois même, les tuer à la ferme que de leur faire vivre les derniers 24 heures que mes deux cochons ont dû vivre. Car, si vous reprenez le paragraphe où je décris leur stress, que pensez-vous de cela:

Je suis leur éleveuse. Je viens comme d'habitude (pas de stress) pour les nourrir. Je donne à manger au cochon sélectionné un peu en retrait, pas de stress. Je prends un merlin, sorte de pistolet qui assomme et je le pose sur son crâne quand il mange. Pas de stress. Et ping. Pas de stress.

???

Signé: Véronique, éleveuse de cochons.


11 commentaires:

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    1. Il y avait une faute d'orthographe qui dérangeait le linguiste sommeillant !

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    2. Je croyais que la faute d'orthographe était dans mon texte, car oui, il y en avait une moche, que je me suis empressée de corriger!

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  2. Oh mon Dieu! Quel parcours, quel courage. Et combien je soutiens la solution de Véro pour la prochaine échéance fatale. A la lecture de la journée vécue -et par respect pour l'animal- moi aussi j'opterai pour la fin à domicile ! Proprement, dignement, amicalement pourrait-on dire.
    Mais mon avis vous importe peu sans doute. Ce que j'admire c'est votre vie et la manière de nous la raconter en nous donnant envie en toute circonstance.
    Amitiés, bonnes Pâques et vive le Cantal. René

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  3. Merci René, nous avons eu d'autres personnes appuyant la fin d'un animal à son domicile. Mais malheureusement ce n'est pas permis par la loi. Traçabilité, contrôles sanitaires et gestion du nombre, tout est fait pour la production industrielle. Rentabilité oblige, il y a de moins en moins d'abattoirs et donc des distances plus longues à faire pour l'éleveur. Les transporteurs n'hésitent d'ailleurs pas à faire traverser l'Europe en camions des animaux vivants plusieurs fois, ce qui me questionne beaucoup, non seulement pour l'animal et son bien être (très secondaire finalement dans cette perspective) mais aussi pour des raisons d'usage intempestif d'une source d'énergie que je ne nommerai pas!

    Enfin, il y a de quoi discuter, une soirée d'hiver au coin du feu, ou en été sur notre terrasse (qui reste à faire) en sirotant un vin de noix du coin! vive le Cantal!

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  4. Puisque vous n'avez pas le droit de les tuer, ne serait-ce pas envisageable de les endormir vous-mêmes? Quitte à utiliser une méthode peu orthodoxe (que je ne connais pas évidemment), cela pourrait à la fois être un geste éthique envers vos chères bestioles, et un geste de protestation quasiment politique envers des lois pas toujours très.... humaines? Porcines? Quid Quod Clic Clac Kodak. Par exemple vous sirotez avec eux une bonne eau-de-vie du Cantal, et pendant qu'ils sont dans le coma idyllique, le processus "transport-attente-couic" passe pour eux comme s'ils étaient les mecs dans Las Vegas Parano. Un décès halluciné en quelque sorte... Je ne plaisante pas. Et je vous soutiens, c'est dur, mais vous êtes durs à cuire... enfin, j'imagine, j'ai jamais essayé. Bec. Q

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  5. enfin la mort c'est toujours la mort...Je ne suis pas sûr que vous continuiez votre activité s'il vous fallait vous-même accomplir cet acte en poussant le respect de l'animal jusqu'à celà. Peut-être y aurait-il plus à creuser en développant des concepts abattoirs plus respectueux de l'animal...Mais avouez que ça tient un peu de l'utopie et de l'oxymore !

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  6. Témoignage émouvant, qui me rappelle des discussions avec des éleveurs du Finistère. Mais effectivement, la question des abattoirs est très sérieuse. Dans le Finistère où j'habite, il y en a 3 accessibles aux petits éleveurs, tous industriels, mais ils ont le mérite d'exister. Certains départements n'ont plus d'abattoir, ce qui exclu toute possibilité d'installation de petits éleveurs. Mais les élus du Finistère (et les représentants de la FNSEA à la chambre d'agriculture) espèrent la concentration de l'abattage sur un seul site, pour des raisons de "compétitivité", avec un fort risque économique pour les petits éleveurs alternatifs éloignés de ce futur site unique. Certains éleveurs du CIVAM (sur des petites productions en vente directe, certains avec des races à faible effectif) réfléchissent au développement d'un modèle d'abattoir qui se développe en Suède : après être allés très très loin dans la concentration, il y a un développement récent de très petits abattoirs. Ces abattoirs ont une seule pièce, la marche en avant se faisant dans le temps, ce qui permet de satisfaire aux normes européennes pour un coût de quelques dizaines de milliers d'euros, investissement abordable pour une commune. C'est sans comparaison avec les abattoirs industriels où les investissements se chiffrent en millions d'euros. Cela aurait pour conséquence moins de stress pour les animaux, plus de liens entre les salariés de l'abattoir et les éleveurs, ce qui serait bénéfique à la fois pour les éleveurs, les employés de l'abattoir (et leurs conditions de travail) et les animaux. C'est peut-être une piste à explorer, même si l'idéal serait effectivement l'abattage à la ferme. Mais là c'est un tout autre combat, car nos élus ont abandonné leur pouvoir de décision sur ce point. Il est maintenant au niveau de la réglementation européenne, dans les mains des lobbyistes et de la commission européenne, qui vont uniquement dans le sens des intérêts financiers... Les revendications sur ce point s'inscrivent alors dans un combat plus large !

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  7. Merci Arnaud, très bonne intervention et nous sommes entièrement d'accord avec l'idée qu'il réagir face à la concentration des abattoirs, véritables gouffres financiers, sans parler du mal-être animal qu'il génère, et mal-être humain pour ses employés. Nous avons aussi entendu parler d'un prototype de camion-abattoir, projet étudié au niveau de l'INRA (sur papier en tout cas). C'est intéressant car l'abattoir étant mobile, c'est l'abattoir qui vient au cochons et non l'inverse, et ça serait tout à fait adapté aux petits élevages. Cela pourrait même encourager des installations dans ce sens...

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  8. Bonjour. Je ne sais pas où vous en êtes de la question des abattoirs mais un éleveur à côté de chez moi m'a expliqué qu'il s'était associé avec d'autres éleveurs et ils ont créé leur propre abattoir à taille humaine. Apparemment il en existe peu en France mais c'est une solution. Bravo à vous en tout cas moi je boycott le porc industriel c'est inhumain ce qu'on leur fait subir

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  9. Bonjour. Je ne sais pas où vous en êtes de la question des abattoirs mais un éleveur à côté de chez moi m'a expliqué qu'il s'était associé avec d'autres éleveurs et ils ont créé leur propre abattoir à taille humaine. Apparemment il en existe peu en France mais c'est une solution. Bravo à vous en tout cas moi je boycott le porc industriel c'est inhumain ce qu'on leur fait subir

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