La mort de
faim est quelque chose d’intolérable. La mort de faim d’un enfant, c’est
quelque chose de monstrueux. C’est tellement monstrueux que les mots me
manquent. C’est tellement atroce, douloureux que je ne veux, je ne peux pas
possiblement m’y attarder. J’ai vu des photos de squelettes vivants, les têtes
démesurées et les regards hagards des affamés. J’en ai vu en vrai aussi. J’ai déjà pleuré. Je ne noterai pas une liste
émotionnellement stérile des chiffres et statistiques mondiales de la faim.
Pour cela, il suffit d’aller sur les sites d’organismes dont la tâche consiste
à quantifier ce dysfonctionnement sociétal. Moi, quand je pense à la faim d’un
enfant, ça me pique le cœur. J’ai honte. J’ai honte de la race humaine. Je fais
partie des nantis qui n’ont jamais eu faim. Qui ne savent pas ce que c’est. Quand
j’étais enfant et que je rechignais à manger, j’ai entendu des adultes dire « pense
aux enfants d’Afrique… ». Mais non, je ne peux pas y penser. Qu’est-ce que
mes bonnes pensées y feraient ?
Il y a
aujourd’hui trop de « gens biens » qui me disent – d’autant plus
maintenant que je produis de la nourriture bio – que l’agriculture biologique
ne nourrirait pas la planète. Je l’entends tellement souvent celle-là, que j’ai
envie de crier fort pour que tout le monde m’entende : l’agriculture
intensive, industrielle, chimique et pesticidée ne nourrit pas la planète.
Alors arrêtons de déblatérer sur ce sujet.
Des enfants
meurent de faim. Aujourd’hui.
Pourtant,
nous savons tous autant que nous sommes qu’ils meurent de faim pour d’autres
raisons que la quantité de calories produites. Nous le savons. Ça n’a rien à
voir avec le bio ou le pas bio. Nous savons que la malbouffe tue. Nous savons
que nous gaspillons des tonnes et des tonnes de nourriture. Nous savons que la
production industrielle – favorisée par notre système - mène à une augmentation
proportionnelle de gaspillage comparée à la production familiale et locale. Nous
savons que cette dernière est systématiquement détruite à large échelle dans
les pays où elle est encore majoritaire. Nous savons que des multinationales
spéculent sur la nourriture. Elles sont plus puissantes que les Etats, elles
sont au-dessus de toutes les lois humaines. Elles sont d’un cynisme sans nom.
Elles peuvent créer des pénuries, des guerres, la faim.
Pour de l’argent.
Pour du profit. Bien joué, la cote monte.
Alors, le
prochain mouton qui me sort cette phrase si peu constructive, je lui réponds
ici-même : documente-toi ducon.
Et tu liras
en effet que certaines études assurent que la productivité de l’agriculture
biologique est 25% inférieure à l’agriculture conventionnelle (chimique et
pesticidée). Et là ducon tu me diras, ah ! tu vois ? Et là je te
dirai : qui a financé ces études ? et tu me diras … euh, c’est une
étude sérieuse et scientifiquement prouvée. Et là je te dirai… bon j’arrête,
car tu es trop bête pour comprendre.
Maintenant, je
reprends mon calme, je respire, et je partage avec vous la dernière étude, ou
plutôt méta-étude publiée le 9
décembre dans les Proceedings of the
Royal Society en Angleterre. Cette étude a été dirigée par Claire Kremen,
professeur de sciences de l'environnement et codirectrice du Berkeley Food
Institute de l'Université de Californie. Elle passe au crible trois fois plus
de données que leurs prédécesseurs. Ils ont ainsi analysé 115 études de 38
pays, portant sur 52 espèces végétales et couvrant trente-cinq années. http://rspb.royalsocietypublishing.org/content/282/1799/20141396
Là, je me sens mieux. Nous
quittons le niveau du bar de bistroquet et on s’élève un peu mentalement. Car
la conclusion de cette étude me conforte au moins dans mes convictions :
lorsque l’agriculture biologique a recours à la polyculture et aux rotations,
le différentiel tombe à 9%. En d’autres termes, c’est la diversification qui
permet d’augmenter la performance de l’agriculture biologique. Si l’on ajoute à
cela d’autres considérations – investissements dans la recherche agronomique
pour améliorer les rendements, environnementales, gaspillage alimentaire dans l’industrie,
et bien, oui, je le dis haut et fort, oui, l’agriculture biologique nourrit la
planète.
C’est la logique du profit qu’il
faut abolir. C'est tout un système qu'il faut réformer. Et c'est possible de le faire sans effusion de sang. Il suffit de saisir à pleine main l'once de pouvoir qu'il nous reste à nous petit citoyen - face aux grands qui dirigent ce monde, j'ai nommé les multinationales. Notre pouvoir, c'est celui du consommateur. Le pouvoir de choisir ce qu'on achète. Et vous pouvez ainsi, en tournant le dos à la méga-industrie agro-alimentaire, lutter contre la faim.
Merci de m'avoir lue.